Qui suis-je ?

- Jean-Patrick B.
- Aime vivre et raconter les vies, celles d'hier et d'aujourd'hui, avec tendresse, humour et bonhomie.
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Chronologie
- septembre 2023 (10)
- août 2023 (11)
- juillet 2023 (5)
- juin 2023 (4)
Je ne suis pas du genre à camper sur des certitudes, je ridiculise volontiers ceux qui se comportent ainsi. En classe de seconde, notre professeur de français jugeait qu’il était naturel de faire des erreurs, ce qui était répréhensible, c’était de ne pas chercher à les corriger.
Avant de venir en
résidence, j’ai défini le synopsis ; sur place,
l’écriture s’est élancée. À la fin de la première partie,
celle où la maltraitance est constatée, le ton est à la colère,
la haine, la vengeance. À continuer dans ce sens, le roman
deviendrait un brûlot réductible en trois mots : tous des
salauds ! Ce n’était pas l'intention de base, mais la pente
suivie. J’en avais en partie conscience, mais je m’obnubilais à
produire la quantité envisagée, le nombre de caractères, restant
accroché au déroulé prévu. La logique comptable et le service limité !
La solitude de la résidence, même si elle voisine avec celle d’autres créateurs dans d’autres domaines artistiques, offre l’intérêt de se retrouver face à soi-même, à son travail, à ses objectifs. Regarder l’eau d’un œuf à la coque bouillir dans la casserole offre des vertus inattendues. Cette étape franchie, les mouillettes furent formelles : il fallait suspendre l’écriture et me replonger dans les documents réunis lors de la préparation ; je les avais lus et avais relevé ce qui allait dans mon sens, je devais prendre le temps de regarder le reste. Et là, banco.
Se confronter à la maltraitance, découvrir qu’elle vient d’un membre de la famille : le fait est courant, les témoignages affluent. On se sent désarçonné, "un cataclysme, le monde se met à tourner à l’envers" (citation du premier jet) ; on voudrait que ça cesse illico et on attend la mobilisation générale. En fait, on rencontre des gens qui compatissent et d’autres qui ouvrent le parapluie, car ils s’en doutaient, mais ne se sentaient la moelle de le dénoncer ou prévenir ; rares sont les arrangements pour limiter la casse. En bref, le résultat semble maigre. La colère évoquée plus haut est naturelle, légitime. Mais elle n’explique rien, n’aide pas à saisir et ne constitue pas une intrigue romanesque. S'apercevoir qu'ailleurs, hier ou avant-hier, des associations, des services, des gens de bonne volonté ont réfléchi, tenté, mis en place des choses. À tourner le regard vers les solutions plutôt que vers le problème, le monde prend une autre couleur.
Conséquence pour mon récit : plutôt que jeter la copie, il est temps de corriger le tir et revoir la suite. Un personnage – imprévu dans la distribution initiale – va se glisser dans l’histoire et dénicher les éléments qui apporteront calme, sérénité et réconfort pour évoluer ; la conclusion restera la même, mais le parcours du personnage central s’en trouve modifié. Les certitudes qui m’habitaient à mon arrivée ont du plomb dans l’aile.
La leçon à tirer : le bouillonnement silencieux d’une casserole ouvre l’esprit quand l’élan même droit dans le mur.
Je n’irais pas jusqu’à me féliciter du contre-temps de la première semaine, mais les indicateurs arbitraires que je m’étais fixés avant de venir sont au vert ! En guise de repères, je tenais à griffonner quelque six pages et demie du petit carnet au format A5 : le brouillon à droite, les ajouts et les compléments sur le vis-à-vis de gauche. Après neuf jours de résidence (dont 4 en suspens), je viens de clore la page 58, moyenne de 6,44.
Outre la dimension comptable, il faut regarder le synopsis et son déroulé.
Avant de venir, j’ai réuni un paquet d’informations sur les différents aspects liés à la maltraitance et aux personnages que je voulais brosser. Par exemple, le fiston lit le journal tenu par sa mère après son décès (info donnée dès le préambule), il m’a donc fallu des renseignements sur un déclin rapide : le tabagisme jusqu’au-bout est venu à mon secours, j’ai glané des éléments sur cette situation et les inclure dans le scénario (rien à voir avec le cœur du sujet, mais indispensable au contexte). A contrario, les notes sur la maltraitance venaient d’un cours de droit, celles sur la sénilité de la médecine et celles sur la vulnérabilité d’un travailleur social ; insensé de passer d’un cours à un mémoire, à moi de les intégrer dans la vie quotidienne, entre une ancienne prof de lettres et son fils informaticien ! Cette évolution se décline comme une conversation entre gens de bonne compagnie, avec des coups de gueule, des coups au moral, des sous-entendus qui trouveront explication plus loin et des renvois à des indices glissés auparavant.
Le synopsis global prévoit trois actes : la découverte de la maltraitance, la prise en charge dont la procédure d’enquête, le final humain et judiciaire. À ce jour, j’approche de la fin de la première partie. Aucune évaluation de volume ; je dirais même que je mise sur la dernière partie deux fois plus brève que les autres. Je remarque que certains indices que je pensais fournir au début sont encore disponibles pour la suite ; je ne reviens pas en arrière pour insister à les incruster de force, ils viendront bientôt à une place naturelle.
Bref, compte tenu des prévisions, vu les circonstances et le total divisé par l’âge du capitaine, je suis satisfait de mon travail. Les leçons que j’en retire sont simples : un balisage est rassurant quand on sait vers quoi on s’engage, il sert de repère, ne pas le transformer en contrainte. Pointer le parcours envisagé est crucial, il permet de remarquer les ingrédients qui restent disponibles ; ne surtout pas vouloir rajouter de farine quand la tarte est déjà au four. Si je parle de cuisine, c’est sous l’influence de Dany Lafferière et son « Journal d’un écrivain en pyjama » ; le bouquin me distrait et m’évite la prise de tête, en fournissant des conseils à lire, suivre, écarter, modifier ou rejeter, selon son goût. Tout ceci sans oublier de faire ses courses, préparer sa tambouille, lessiver son linge (ne riez pas, je m’y suis mis) et bientôt passer l’aspirateur ou repasser le pyjama – comme Lafferrière j’en porte un, mais je le retire avant d’être écrivain !
Vous attendiez un message sitôt les valises déchargées, je souhaitais vous en offrir un sitôt les repères trouvés et le travail entamé : dimanche les valises, lundi les repères, mardi le premier bulletin du séjour sur le blog. Mais voilà… Le programme a été un tantinet bousculé !
Dimanche 17, je m’installe à la résidence après avoir entendu un concert avec un agréable morceau composé par Fanny Hinel, sœur de Mendelssohn. Quatre autres artistes sont dans les lieux et un sixième arrive bientôt pour un court séjour ; parmi les visiteurs des Journées du Patrimoine, une dame se renseigne sur la formule. J’ignore les modes de sélection, mais les demandes ne doivent pas manquer.
Lundi matin : l’approvisionnement, un auteur ça vit ! L’après-midi, visite technique des lieux : poubelles, lingerie, questions pratiques. En fin d’après-midi, j’apprends que samedi 17, la veille de ma venue, je fus en contact avec une « covidoise » et mes symptômes se réveillent dès mardi matin. Le programme prend une tournure médicale.
Le diabète part en quenouille, avec la conviction d’un rétablissement naturel ; je me traîne trente-six heures, avant de constater l’état déplorable : cétonurie, hyperglycémie. Vu le système de santé, il est devenu insensé de tomber malade dans certaines zones, dont celle d’Issoudun ; Bourges et Châteauroux sont saturés, me voilà en pleine nuit transféré au service réanimation de Tours. De vrais pros, riches d’humanité, mais pas inscrits dans mon agenda. Deux jours de soins et une demi-journée pour trouver une ambulance ; le gag est l’exploit de l’intelligence artificielle : le système automatique cherchait un véhicule pour me rapatrier en Normandie, personne n’était disponible pour un si long voyage.
Désormais rentré à la résidence, il me reste à travailler. Les échanges avec le personnel médical et para-médical confortent l’idée d’un thème fréquent dans les familles et occulté dans la société ; en plus des soins, j’ai reçu d’amicaux encouragements.D’un point de vue statistique, j’ai brouillonné 9 pages dans la seconde partie du lundi après-midi, alors que les prévisions sont de 6 quotidiennes, les 4 journées de suspension pourraient être compensées sans délai. D’ailleurs, je m’y attelle dès hier soir.
On est tous différents, c’est ce qui fait la richesse de l’espèce humaine. Deux lecteurs m’ont interrogé sur les préparatifs mentionnés et leur état avant le départ : à savoir, quid du logiciel évoqué le 04 août (la tête dans les data) et la Silvoita cuisinée le 24 août (tourner autour du pot).
Première leçon : je dois faire gaffe à ce que je raconte, car on m’attend au tournant.
Les autres leçons répondent à vos questions. Le logiciel est dans son état initial ; autrement dit, je l’ai laissé de côté, car apprendre un matériel et réaliser une tâche sont deux activités distinctes, courir deux lièvres à la fois n’est pas raisonnable. Quant à la Silvoita, j’en ai déjà avalé un pot avec satisfaction ; elle m’a paru un tantinet vinaigrée, mais avec une cuillerée d’édulcorant, la deuxième dégustation m’a convaincu. Vous pouvez y aller et commenter vos essais : à défaut de rester littéraire, ce blog deviendra gastronomique.
Demain, le programme est simple et facile à comprendre : au volant pendant sept à huit heures.
Le parcours de Dieppe à Ségry passe par la tombe où reposent mes parents. Je souhaiterai à Papa son anniversaire : 99 ans aujourd'hui. Je saluerai Maman, le principal personnage du roman à venir ; ce travail est censé combler une dette morale à son égard.
Maman est partie en ignorant ce qu’elle a subi, elle a fermé les yeux dans la quiétude que mon frère et moi lui avons procurée. Depuis trois ans et demi, je me suis fait la promesse de raconter son sort sous forme de roman, enrichi d’informations recueillies, car les sources croisées sont plus riches qu’un témoignage isolé. Si le résultat aide des fratries à se montrer plus vigilantes, à se remonter les manches avec courage et sans honte, dénoncer les fautifs ; si les prétendus "responsables" osent prendre à bras-le-corps le destin des seniors abusés, plutôt que se contenter de leur verser à boire devant les caméras en période de canicule ; si de prétendus défenseurs de l’ordre public ouvrent leurs yeux d’Officiers de police judiciaire ou reçoivent la consigne d’honnêteté les obligeant à sanctionner les coupables au lieu de les protéger sous prétexte de "linge sale en famille", Maman reposera avec son honneur retrouvé.
Mes propos trahissent l’état d’esprit actuel : la colère, l’envie de soulager des douleurs (pas les miennes, mais celles des seniors maltraités par leurs familles) et mon objectif de rendre une histoire poignante, stimulante. La biographie de Flaubert par Michel Winock souligne son obsession, la haine de la bêtise ; ce trait me rapproche du Maître normand ! Tout au long de la route, les images vont s’accumuler, se renforcer, se préciser. La caméra cérébrale va filmer les séquences successives. Des arrêts seront nécessaires pour la sécurité d’automobiliste et la prise de notes en vrac. Bon voyage en perspective !
Il ne reste plus que deux jours avant de prendre la route. Entre la valise - dont s'occupe mon épouse, qui rêve que ce soit ma première et dernière résidence, le matériel - papier, ordinateur et clés USB avec toute la documentation réunie au cours des recherches, et les autres aspects comme l'itinéraire à suivre, les conseils d'auteurs ou le tableau de bord pour mesurer l'avancement, je ne sais plus où donner de la tête.
À mes yeux, les dès sont jetés. Pour me soulager, je butine des informations sur des sujets sans enjeu. Ainsi j'ai croisé la route d'Alphonse Aucher et Louis Guerrier, deux sacrés larrons qui passaient par les presbytères, trucidaient les curés, avant de rejoindre le bagne de Nouvelle-Calédonie et achever leur périple avec plusieurs tentatives d'évasion. Pourquoi m'intéresser à eux ? Parce que leur dernière victime était en 1888 le curé d'Armentières-sur-Avre dans l'Eure. Les personnages sans foi ni loi, leur rencontre à imaginer, leur déambulation balisée, leurs forfaits recensés et détaillés, etc. je pense qu'il y a matière à un road-movie, sous forme de polar... mais ce n'est pas mon genre.
Revenons-en à notre projet Protégeons nos parents. Le plan montre trois parties divisées en 13, 19 et 17 séquences. Qu'importe les quantités, l'essentiel est le balisage. En face, se trouvent les sources, les fameuses "fiches" de notes. À la dernière relecture, j'ai ajouté un pense-bête à deux parties pour me rappeler qu'une information ne peut pas être tombée du hasard, mais indiquée à l'avance, sans insister ; sur ce mémo, j'ai mis le numéro de la séquence où un indice pourrait être livrée, je dispose ainsi d'un point de repère supplémentaire.
Plus que deux jours : contrôle technique de la voiture, vaccin anti-Covid (5e édition), spectacle pour les journées du patrimoine et un petit tête-à-tête avant l'unique "résidence souhaitée". Eh oui, écrire, c'est un gros travail solitaire, mais l'entourage est bien présent !
Premier cas de figure : tout va bien, c’est superbe. La vie est belle, j’en redemande.
De petits imprévus se pointent : je manque de données dans une séquence, par exemple. Pas de panique : je griffonne l’ensemble et je souligne les secteurs à revoir au retour. En l’état actuel, les séquences sont repérées au maximum dans le plan d’écriture, aucun manque n'est identifié.
De gros problèmes : je sature, je déprime, je me sens le dos au mur. J’ai confiance dans les autres créateurs, que je ne connais pas, la solidarité existe à mes yeux : ils soulageront mon désarroi. Au pire, je rentre à la maison plus tôt que prévu.
Mais entre toutes ces éventualités, bien des situations ont leur place. Un coup de blues, un besoin de penser à autre chose, une mauvaise nuit, un passage à vide. D’abord, j’espère trouver une journée et aller visiter la maison de George Sand, le fantôme de l’autrice me fichera un coup de fouet, je n’en doute pas. Par ailleurs, j’emporte les notes en vue d’un autre roman censé peupler mon année 2024. Je garde le thème pour moi, mais il est déjà présent dans mon escarcelle. Enfin, la rédaction de nouvelles, est toujours envisageable ; qu'elles soient inspirées par le moment, le lieu ou les rencontres
L’écueil de cette organisation est la tentation de se tourner vers la facilité dès qu’une difficulté pointe le bout de son nez. C’est pourquoi j’ai arrêté le programme prioritaire, ferme et définitif : écriture en matinée – les calculs, basés sur les conclusions de Richaudeau et mes précédents travaux, montrent la capacité de pondre mille mots quotidiens. Détente en après-midi : lecture, marche, vie quotidienne ; coup d’œil sur le brouillon du jour en fin d’après-midi – car des détails ne manqueront de trotter dans la tête. Improvisation le reste du temps.
Plan B : imaginer un autre récit, sans le construire, ni le rédiger ; brouillonner des morceaux disparates, dont l’usage est possible, sans être certain ou obligatoire.
La question est aussi vieille que la machine à écrire. Avant, les écrivains écrivaient (pléonasme provocateur) et les ouvriers d’imprimerie composaient des pages de lignes en plomb. Je me demande à quoi ressemblaient les ateliers avec les innombrables plaques en attendant les corrections d'auteurs : Flaubert, Hugo, Baudelaire...
Désormais, cet encombrement a disparu : un fichier de quelques kilos d’octets et le tour est joué. L’auteur a le choix entre conserver l'ancienne pratique du papier et du crayon, l’intermédiaire avec la machine à écrire et ses barres qui s’entrecroisent, ou la plus moderne avec le traitement de texte.
Ce choix divise la communauté, certains frisent la guerre civile, quand d'autres batifolent entre les techniques. Ainsi Jack London écrivait sur du papier et
transformait son brouillon une seule fois quand il tapait son texte sur la machine à écrire. Moi-même, il m'arrive de
frapper en direct, et même avec les dix doigts ; j'apprécie
alors la vitesse tranquille de ce mode de travail ; en d'autres temps, d'autres lieux, je prends un cahier A5, la page droite reçoit le premier jet, celle de gauche accueille les compléments, les corrections et les modifications, avant que de passer à la frappe. Et comme London, de nouvelles améliorations surgissent à ce moment-là, sans compter les futures relectures !
Pour le projet Protégeons nos parents, je pense agir ainsi : le premier jet sur un ou plusieurs cahiers. Chercher mes mots, les laisser venir, les peser dans la tête avant de les jeter sur la feuille dans leur pure imperfection. J’espère aller de cette façon jusqu’à la dernière séquence en évitant de traiter le texte en cours de chemin : le brouillon intégral avec moult relectures partielles, car je me connais. Puis saisie de A à Z (avant la fin du séjour), en surveillant la qualité orthographique et lexicale, la longueur des phrases et des parties, la cohérence d’ensemble, la place des infos pour maintenir l’attention du lecteur. Difficile dans ces tâches d’être juge et partie, mais il faut s’y plier et recruter des bêta-lecteurs sévères.
Pour Je n’irai plus au bois, j’ai conservé les versions V1, V2, jusqu’à V5. L’intérêt est de retrouver une bonne idée dans une version et piocher une formule dans une autre époque : une sorte d’assemblage comme pratiquent les vignerons !
Quant au crayon : gras, bille, feutre ? Le choix est biaisé. Les membres de l'atelier d'écriture m'ont offert un stylo-plume et des cartouches : mon épouse leur avait cafté mon penchant pour ce genre d'article ! Celui-ci trône dans la trousse où se cachent aussi des crayons à papier qu'appréciait tant Jean d'Ormesson, une gomme et le fameux taille-crayon. À l'école primaire, j'ai appris à tracer les lettres avec ces objets d'un autre temps ; quelques neurologues et pédagogues disent que ces articles soutiennent l'esprit dans sa gymnastique, je les retrouve volontiers dans l'exercice.
La date du départ vers Ségry approche. Comme souvent en pareils cas, le sentiment d’incomplétude croît. Oh, la, la, que de grands mots pour un petit problème.
Les trois parties sont définies et même baptisées, un semblant de titre est mieux qu’un vulgaire numéro (1 – tomber des nues ; 2 – bas les masques ; 3 – la tempête), le 3e titre ne me plaît qu’à moitié. Les séquences s’inscrivent dans chaque partie, à l’image des scènes dans un script de film. Le numéro des notes correspondantes est reporté en face : ruminer les souvenirs familiaux renvoie à A155 : arbre généalogique. Au moment de rédiger la séquence, le pense-bête sera sous la main.
Le système des fiches de notes, comme faisait Jules Verne, offre une grande liberté, UNE fiche n’est pas scotchée à UNE séquence, elle peut servir à d’autres moments : l’arbre généalogique de A155 viendra alimenter une conversation à propos des baptêmes, des prénoms ou des mariages… Que cette conversation soit entre la grand-mère et la mère, entre la mère et le fils, avec l’enquêteur, ou avec les voisins, qu’importe, la fiche est indépendante ! Alors, qu’est-ce qui me manque ? Réponse maladive : tout ; version objective : pas grand-chose !
Est-ce une forme d’obsession sans raison ou une manière de me plaindre ? Je l’ignore, mais cette impression est vivace. Dès lors, chaque heure ou presque, je fais le point : l’aspect bancaire lu et relu, rapports, études universitaires et comptes-rendus de l’ACPR ou de la Banque de France annotés dix fois. L’aspect judiciaire : la procédure en théorie et en pratique, les textes de lois, quelques arrêtés. L’aspect sociétal couvert par les prises de position des uns et des autres. La dimension psychologique, médicale, sociale, etc. Qui manque à l’appel ? Personne. Tout semble prêt… sauf dans ma tête.
Pour me rassurer, je lis et relis le plan, le détaille, le révise et le complète d’une virgule. Je me raconte l’histoire, le jour, la nuit. Je griffonne quelques phrases dont je ne sais pas encore quoi faire, persuadé que la réplique serait bonne à tel endroit, l’image parfaite à tel autre. Tout devrait paraître positif : l’épopée avance et prend forme, les pièces du puzzle attendent d’être assemblées. Oui, oui, oui, et pourtant…
Si le fond est nickel, il reste la forme. Je me jette sur les conseils d’écriture. L’incipit ? Important, l’incipit. Pour un : oui ; pour l’autre : le plus naturel possible ; pour le troisième : à travailler à la fin, quand tout est bouclé et le rendre percutant, comme Proust. Les recommandations artistiques : suivre le rythme, soigner le style, mais personne ne définit objectivement le rythme ou le style, comme si ces notions étaient des évidences. Écrire tantôt au présent, c’est plus actif ; tantôt au passé, c’est plus littéraire. Écrire une petite demi-heure, durée limite de l’attention avant de partir à la dérive ; non, on peut aller jusqu’à 2 heures, sans risques ; pas du tout, l’essentiel est de produire 1 000 mots par jour… pendant 60 jours. Bref, à lire toutes les recommandations, je suis plus déboussolé à l’arrivée qu’au commencement.
Ma stratégie, personnelle et constatée dans mes brouillons, sans la vouloir universelle ni transposable à 100 % des auteurs, se résume en trois points :
- n’en faire qu’à ma tête,
- suivre mon intuition
- mesurer ce qui est engrangé plutôt que ce qui reste à moissonner. Autre façon de garder les pieds sur terre.
Je suis mon petit bonhomme de chemin avec mon principe des 5 actions : A – le sujet ? je le tiens : la maltraitance intrafamiliale. B – les notes en fiches, déjà nombreuses ; si de nouvelles apparaissent, il reste du papier disponible. C – le plan, les trois parties tiennent la route. D – la rédaction, six semaines de résidence m’attendent. E – les relectures accompagneront la rédaction. J’ai tout à fait conscience que la rédaction interrogera les notes : une d’entre elles semble partielle ou trop riche et risque d’abattre l’intrigue ; il faut alors rechercher un complément ou ne pas tout dire. Je sais que la relecture traquera les erreurs de répétition, d’adverbes ou d’adjectifs encombrants, de mots imprécis, d’incohérence entre un fait et une parole et mille autres conséquences de la précipitation ou de la fatigue. Mais ces broutilles font partie des règles du jeu. Un homme averti en vaut deux !
Dans un précédent message (30 août) j’avouais trouver l’audace qui me manquait. Martine me demandait si c’était nouveau ou si on m’avait aidé ; en bon normand, je répondrai : un peu des deux.
Mon héroïne est une fumeuse, j’en ai besoin pour tisser ma toile. Moi-même j’ai arrêté il y a un quart de siècle, les connaissances et les pratiques ont évolué depuis. Comme c’est la trouille qui m’a fait stopper, je suis mal placé pour analyser la motivation de cesser ou continuer, mesurer les conséquences à court, moyen et long termes. Bref, je connais la rumeur publique, la morale basique et les principes évidents : autrefois on approvisionnait les bidasses et aujourd’hui on sanctionne les mégots !
Voilà Martine comment je m’y suis pris pour donner du corps à l’aspect de fumeuse et les conséquences dans mon histoire.
D’abord on se questionne soi-même : une accro aux prises avec un gros souci, que fait-elle ? Réponse, elle se console avec son vice, c’est ce que je faisais moi-même quand je fumais.
Ensuite, quelles répercussions ? Direction tabac-info où j’apprends que le cancer du poumon est classé en 4 niveaux, déceler les deux derniers étant presque trop tardif. Mais impossible de savoir si le verdict est rapide (quelques semaines) ou durables (plusieurs années), si un malade peut le cacher à ses proches, quels symptômes extérieurs montrent son état.
Entre-temps j’ai rendez-vous chez ma toubib. À son grand étonnement, je lui parle du projet et l’interroge sur le sujet, elle me fournit des pistes de réponse : "ça dépend, de quelques semaines à deux ans, mais pas plus ! Quant aux signes : le teint jaune, la fatigue, parfois l'amaigrissement, etc."
Résultat des courses : mon héroïne fumera et les conséquences surviendront quand j’en aurai besoin.
En résumé, la méthode de travail repose sur le questionnement, la recherche tous azimuts (une réponse appelant une vérification), avant d’en parler aux interlocuteurs connus ou fortuits. Vient pour finir l’imagination qui permet de créer des situations plausibles. Plus tôt, je me contentais du questionnement, des recherches et de l’imagination, en minimisant la vérification et les échanges ; désormais j’ajoute les « spécialistes » du problème, souvent prompts à fournir des éléments… sous couvert de confidences.
Le premier des trois parle à la première personne, les deux autres à la troisième personne. En général, les deux premiers écrivent au présent, car ils racontent l'action en direct, le dernier au passé, car l’action est terminée quand il la relate. Quelques auteurs tentent de varier les narrateurs au sein du même récit. La principale difficulté est de rester clair pour le lecteur qui se demande -1- si c’est en direct ou différé, -2- qui parle à ce moment-là, -3- est-ce l'opinion d'un larron ou la réalité objective.
En ce qui concerne mon projet, j’étais parti de l’actrice qui écrit son journal au fil du temps et suit les événements successifs. Mais l’intrigue m'a paru plate : l’héroïne découvre l’état des comptes de sa mère, se met en colère, prend les choses en main et les règle à sa façon ! J’ai donc opéré un premier changement.
Le témoin est le fils de l’héroïne, il découvre le journal laissé par sa mère et le lit, en mixant les faits écrits et ses propres souvenirs des évènements. Ainsi, j'ai deux niveaux de narration : la mère dans son journal, le fils dans sa lecture. Mais que deviennent les éléments quand le fils n’était pas là et que la mère n’a pas noté ? Par exemple : un entretien entre la mère et l’officier de police judiciaire, le malaise des employés de banque, etc. Le narrateur omniscient est idéal pour ces cas-là, mais le risque est de multiplier les niveaux : la mère, le fils et M. je-sais-tout.
Alors je me suis posé la question : quand en aurai-je besoin ? Après avoir passé en revue les scènes déjà repérées, j’ai dû convenir qu’il me faudrait presque faire intervenir le narrateur omniscient sans motif indispensable. Autrement dit, je risquais plus de m’y perdre à la rédaction et d’y égarer le lecteur que de faire avancer le récit
Par conséquent, j’opte pour le seul narrateur témoin : le fils a entendu l’histoire et la retrouve dans le journal de sa mère. Cette orientation peut sembler anodine, (surtout si je l’ai mal exprimée). Elle influe sur mon travail de préparation : une action se passe quand le fils était absent ; soit la mère l’a notée dans son journal et le fils découvre à la lecture, soit elle le lui a raconté et c’est un souvenir.
Désormais je prépare les éléments selon ce
prisme : le "cul entre deux chaises" des
conseillers bancaires donnera lieu à une discussion entre la mère
et le fils (la mère en colère après le conseiller, le fils émet
une autre hypothèse sur la situation de ce dernier, hypothèse
inspirée des rapports que j’ai lus).